Oasis Springs - Vingt-deux heures et dix minutes.

Lucy était furieuse.

Elle avait marché pendant près d'une heure à la recherche de ce fichu point de rendez-vous. Ses genoux étaient douloureux et elle s'était légèrement écorché le coude lorsque son talon avait dérapé sur un caillou, l'obligeant à se rattraper in-extremis à une paroi rocheuse particulièrement râpeuse. La nuit était tombée, et elle se sentait incroyablement stupide, seule au milieu du petit quartier désertique, vêtue comme si elle venait d'assister à l'un des congrès scientifiques auxquels participaient régulièrement ses supérieurs ; ce qui n'était bien entendu pas le cas.

Ce mauvais choix de vêtements était entièrement sa faute, mais pour tout le reste elle savait à qui adresser ses complaintes, et il allait en voir de toutes les couleurs. 

Elle avait erré pendant près d'une heure à la recherche de l'adresse indiquée. Plus aucun taxi ne passait par ici à cette heure avancée de la soirée. Totalement perdue, elle était à deux doigt d'appeler Sophie à la rescousse lorsqu'elle aperçut enfin la structure industrielle située en bordure de la falaise, comme décrite par la dernière note soigneusement déposée dans son casier personnel sur son lieu de travail : lieu présupposé de rendez-vous avant que ce @#*£$! de Ollie ne décide de changer d'avis.

Elle considéra un instant le bâtiment d'un œil morne, lorsque soudain elle l'aperçut, adossé contre un grillage près de la façade. Aucun doute possible, ça ne pouvait être que lui, et il allait passer un sale quart d'heure.

Aussitôt, elle se rua dans sa direction, non sans manquer de se tordre plusieurs fois la cheville sur le sol caillouteux. Le bruit de ses pas attira l'attention du jeune homme qui leva les yeux d'emblée. Une expression de sincère soulagement se dessina sur son visage, ce qui freina légèrement les ardeurs vengeresses de Lucy.

« Lucy ! Tu es en retard, est-ce que tout va bien ? »

« Oh ! Mais oui ! Tout va pour le mieux ! » s'exclama-t-elle avec un sarcasme palpable.

Devant le regard interrogateur qu'il lui lança, elle ajouta :

« L'Observatoire ! J'ai attendu au moins DEUX HEURES à l'observatoire ! Juste là, devant la porte ! À portée de vue d'une bonne dizaine de mes collègues qui quittaient les lieux après une longue journée de travail ! Certains m'ont même demandé ce que je faisais là, et je ne me rappelle même plus de toutes les excuses bidon que j'ai dû improviser... ENFIN BREF. Je suis certaine que tout ça va rapidement remonter aux oreilles de mes supérieurs... et ... ah et puis merde. » finit-elle par cracher en lui tournant le dos.

Elle fit quelques pas en direction de la route. Haletante, elle tentait de reprendre calmement son souffle, du moins, c'était l'impression qu'elle souhaitait donner. Comme à chaque fois qu'elle s'énervait trop, les larmes avaient commencé à lui monter aux yeux par réflexe. Elle détestait ce mécanisme agaçant, et sa frustration mêlée d'angoisse n'aidaient en rien. Elle ne comprenait même pas pourquoi l'idée de perdre son travail lui était si anxiogène. Après tout, elle ne l'avait même pas voulu.

« Mais ... Tu saignes ... » constata-t-il.

Suite à quoi, il tenta d'enrouler ses doigts autour de son coude blessé. Elle se dégagea brusquement.

« Ne me touche pas !

- Pardon mais, ça m'a l'air assez sévère...

- C'est juste une égratignure.

- Tu es sûre que tout va bien ? »

Elle fut soudainement prise d'une brusque envie de l'envoyer paître mais l'expression de son visage, un savant mélange de tristesse et d'inquiétude, lui fit une nouvelle fois ravaler son venin.

« Désolée. Je ne sais pas combien de temps j'ai passé à tourner en rond... je pensais que j'étais complètement perdue... Une adresse de trois lignes, c'est pas une excellente méthode de repérage quand on ne connait rien des environs... »

Il baissa la tête l'air coupable.

« C'est ma faute, j'aurais dû prévoir... J'ai tendance à être un peu trop concis. Généralement c'est une bonne chose, mais dans certains cas, c'est une sale habitude.

- ... Peu importe. » déclara-t-elle pour clore la conversation.

Elle aurait pensé qu'après tant de frustration accumulée, de sincères excuses lui auraient fait l'effet d'une bouffée d'air frais. Mais le voir aussi affecté par ce qu'elle considérait désormais comme un caprice déplacé ne la fit que se sentir coupable à son tour.

« Qu'est-ce qu'on vient faire ici ? C'est quoi cet endroit ? finit-elle par demander afin de changer de sujet.

 - As-tu déjà entendu parler de la société Silver Vision ? »

La jeune femme tiqua légèrement. Cela était peut-être nécessaire à d'éventuelles explications, mais elle supportait décidément très mal son habitude de répondre à ses questions par d'autres questions. Vaguement irritée, elle ne répondit que par un hochement de tête, lui attestant que non, elle n'avait jamais entendu parler d'une société nommée Silver Vision.

« C'est une société privée très réputée dans le secteur de la recherche scientifique. Ils possèdent pas mal de labos éparpillés un peu partout sur le territoire national. Les trois principaux se trouvent respectivement à Lunar Lakes, Bridgeport, et Hidden Springs. »

« C'est de là que je viens, ajouta-t-il avec un grand sourire.

- D'un labo de la société Silver Vision ?

- Mais non, Hidden Springs ! la reprit-il en riant.

- ... C'est bon à savoir. » déclara finalement Lucy.

Bien que sa remarque ait été dégoulinante de sarcasme, le jeune homme ne sembla pas le déceler. Il regarda un instant autour de lui, l'air concentré, si bien que Lucy se demanda s'il avait une quelconque intention de répondre à sa question.

Après un bref silence, il se retourna dans sa direction et déclara promptement :

« Écoute-moi bien. À mon signal, on va courir jusqu'à l'entrée. Je vais déverrouiller la porte, et tu resteras derrière moi quoi qu'il arrive. Quand je cours, tu cours. Si je m'arrête, tu t'arrêtes.

- Q... Quoi ? Mais ... » gémit la jeune femme.

Il la fit taire d'un geste de la main.

Suite à quoi, il commença à adopter un comportement étrange. Ses lèvres remuaient comme s'il récitait quelque chose. Lucy aurait voulu lui demander le plus froidement du monde s'il la voyait sincèrement se mettre à courir tout en étant perchée sur des talons comme les siens.

Elle n'en eut pas le temps.

 Il abaissa soudainement la main et poussa un cri dont elle mit une fraction de seconde à identifier la nature.

« MAINTENANT ! »

Suite à quoi il détala à toute vitesse en direction de la porte. Poussée par l'adrénaline, elle se lança maladroitement à sa suite sans réfléchir, manquant une nouvelle fois de faire de ses chevilles un ragoût grumeleux.

Elle aurait voulu demander des explications, mais avant même qu'elle n'ait eu le temps de reprendre son souffle, un bip sonore retentit, et la porte métallique pivota sur ses gonds. Ollie s'engouffra à l'intérieur et Lucy fit de son mieux pour garder l'équilibre en se précipitant sur ses pas.

À présent appuyée contre un mur de l'entrée, Lucy ne revenait pas de ce qui était en train de se passer. Confuse, elle lança un regard de pure incompréhension en direction d'Ollie, occupé à l'ignorer.

* Naaan ils sont pas dans le champ là, juré craché X'D

Dans un éclair de lucidité, elle suivit son regard et réalisa ce qu'ils étaient tous deux en train de fuir : une imposante caméra de surveillance, dont le museau longiligne pivotait tranquillement de droite à gauche, puis de gauche à droite...

« Oh mon dieu Ollie ! On a pas le droit d'être ici qu'est-ce que...

- Détends-toi. Qu'est-ce que j'étais en train de dire ? Ah oui, Silver Vision... »

Il s'élança soudain contre le mur le plus proche, et se retrouva bientôt hors de portée du champ de vision de la caméra. Les réflexes de Lucy étaient plus que jamais mis à l'épreuve. Elle se lança à sa suite avec un tel délais qu'à moins d'une seconde près, elle serait distinctement apparue à l'image.

Comme si de rien n'était, le jeune homme poursuivit son récit :

« Pendant les quelques années ayant suivi sa création, plus la société prenait de l'ampleur et plus on construisait de stations et ateliers de recherche. Toujours dans des endroits stratégiques bien entendu. Aujourd'hui, Silver Vision fait partie des leaders incontestés dans son domaine, et ce depuis pas mal de temps. Pourtant, il y a quelques années à peine, le dirigeant et ses responsables ont longuement débattu à propos d'une idée de projet qui consistait à construire un petit laboratoire ici, à Oasis Springs. »

Lucy écoutait sans broncher. Elle commençait à peine à voir où il voulait en venir. Néanmoins, son récit lui permettait de se concentrer sur autre chose que la situation hautement stressante dans laquelle elle se trouvait actuellement.

« Tu es sûrement au courant de la tragédie qui a frappé Sunset Died** il y a de ça quelques décennies. Et bien, le but du laboratoire à propos duquel tous ces représentants hauts placés débattaient, était de trouver l'origine de la particule ayant causé la ... semi-mort de tous les résidents de cette ville.

- Tu veux dire ... qu'ils pensent savoir ce qui a provoqué ... le désastre ? »

Elle s'efforçait d'articuler malgré son manque de souffle. Ollie, quant à lui, semblait se mouvoir sans difficulté, et ne semblait pas essoufflé le moins du monde. Il effectuait chaque mouvement comme s'il l'avait répété une centaine de fois.

« Exactement. Ils soupçonnaient l'existence d'une particule partiellement responsable de la transformation de ces gens en ... en monstres. Et il se trouve que des traces de ce composant avaient justement été retrouvées ici, à Oasis Springs. La plupart d'entre eux étaient contre l'idée de construire un laboratoire entier dans le but d'étudier la question. Mais le dirigeant a fini par faire pression sur le système, et son souhait a été exaucé. Le laboratoire a été construit sur ces terres et plusieurs employés de la firme, trois pour être exact, y ont été affectés dans le but de mener à bien une mission très particulière.

- Laquelle ?

- En résumé : trouver la particule, comprendre son fonctionnement, trouver un antidote. »

Lucy sentait sa force physique diminuer au même rythme que sa curiosité s'éveillait. Elle ne comprenait toujours pas ce qu'elle faisait là, ni pourquoi elle avait accepté de suivre un inconnu dans une entreprise si périlleuse, mais elle sentait que le récit du jeune homme avait un but précis, et elle attendait avec une impatience grandissante le moment où enfin elle établirait les liens. Le désir de comprendre était probablement la raison pour laquelle elle tenait encore debout.

« Est-ce qu'ils... est-ce qu'ils ont réussi ? Haleta-t-elle, presque à bout de souffle. Ont-ils trouvé l'antidote ? »

** C'est un peu du folklore Sim, mais comme je ne suis pas sûre que tout le monde sache exactement de quoi je parle, je vais développer ici : Sunset Died est une ville Sim disponible en téléchargement. Pour être exact, c'est une réplique apocalyptique de Sunset Valley, la ville de base des Sims 3. Lorsque des simmers écrivent des histoires se déroulant dans cette ville, c'est souvent à propos d'une apocalypse de zombies ou d'une extinction de la race humaine (de la race Sim plutôt haha). Voilà voilà, fin de la parenthèse ;-) !

« Pas exactement, répondit Ollie. À la suite d'un incident, le chef d'équipe a été renvoyé de la société. Les deux exécutifs restants, en l'absence de leur chef et surtout en l'absence de résultats satisfaisants, furent rapatriés dans les principaux laboratoires de la firme afin de travailler sur d'autres projets.

- Je ne suis pas sûre de comprendre, articula Lucy. »

Un dernier effort lui permit de franchir d'un bond furtif la largeur du couloir. Elle se retrouva ainsi face à grande porte devant laquelle Ollie s'activait désormais à l'aide de ce qui ressemblait fortement à une carte électronique aux circuits apparents. Après un instant d'attente qui lui parut interminable, et lors duquel elle se demanda si l'intéressé avait une quelconque intention de lui apporter des précisions, un bip retentit et la porte pivota sur ses gonds. Le jeune homme s'y engouffra et elle tenta de faire de même. Une fois de l'autre côté, tandis qu'il s'appliquait à refermer correctement la porte, elle ne put se retenir d'insister :

« Où est-ce que toute cette histoire est censée mener ? Que s'est-il passé ici ? Qu'est-ce qui est advenu du scientifique en charge des lieux ?

- N'est-ce pas évident ? » S'exclama l'intéressé en se redressant habilement.

D'un geste fluide, il expédia la carte sur une surface chargée de papiers noircis d'inscriptions illisibles, s'avança vers le milieu de la pièce puis, devant l'absence de réponse de la part de Lucy, il se retourna, bras écartés, pour déclarer :

« Tu l'as devant toi. Voici mon bureau, fais comme chez toi. »